• « Comment ça, vous ne faites pas cette jupe en 40?! »
  • « Je suis désolée mais cette taille 36 est la seule que nous avons, pour le moment, dans cette couleur… »
  • « Comment croyez-vous que je vais faire, moi, pour entrer dans du 36?! »
  • « Sinon, j’ai bien un modèle similaire mais comportant une doublure plus foncée, c’est celui qui est présenté en vitrine… »
  • « Mais ça, je m’en fiche, je trouvais justement que la doublure claire donnait une impression de légèreté… Puis, cela reste du 38! »
  •  » J’ai bien une taille 38, du modèle que vous appréciez, qui va arriver cette semaine… »
  • « Il est certain que je voudrais bien pouvoir porter du 38 et maigrir, sauf que là, tout de suite, je fais du 40! »

(passablement énervée)

  • « Je dois dire que je ne comprends pas pourquoi vous vendez des vestes en 40 et que vous n’allez pas jusqu’à la même taille dans les jupes qui pourraient leur être coordonnées, cela me sidère!!! »
  • « Je sais bien, Madame, cependant, pour avoir du 40 pour cet article, il vous faut passer une commande spéciale… »
  • « Quoi?!!! » (on lui aurait mis une gifle en lui annonçant qu’elle allait mourir qu’elle aurait affiché la même expression faciale, à mi-chemin entre le dégoût et la fureur)

  • « Et je suis censée la recevoir quand, moi, cette commande? Parce que je voulais porter l’ensemble pour une prochaine soirée! »

  • « En règle générale, il vous faut compter environ dix semaines… »
  • « Mais, c’est une blague?! C’est vraiment n’importe quoi, qu’est-ce que je vais faire de la veste si je n’ai pas la jupe assortie? »
  • « Vous devriez quand même essayer la 38 plus foncée…. »
  • « Bon, aller me la chercher, … »

(cinq bonnes minutes plus tard)

  • « Qu’est-ce qui lui arrive à cette vendeuse? Elle s’est perdue?… »

Cette conversation, c’est celle qui vient de se tenir à quelques coussins de cuir entrelacés de moi. Il faut dire qu’ici, nous sommes chez Chanel et qu’apparemment, les vendeuses sont rôdées en ce qui concerne le traitement des dames capricieuses.

Au final, la cliente, une quarantenaire blonde – vêtue d’un haut de couleur pomme tout en effet de voilages et de transparence ainsi que d’un pantalon blanc immaculé, à la coupe étroite -, réservera la jupe voilée, doublée en beige-nu pâle, taille 38, en pestant contre l’absurdité de la chose et se saisira, d’un geste résolument outré, des anses – subtilement décorées d’un foulard Hermès – de son Birkin en alligator blanc puis tournera les talons de ses sandales dorées Jimmy Choo en laissant derrière elle une coupe de champagne vide ainsi qu’une vendeuse au bord du suicide.

Dès le départ de l’exigeante acheteuse, tel un ballet savamment orchestré, un vigile à la peau mate, en costume noir impeccablement coupé, fond sur le canapé en tweed dans lequel je suis assis depuis un bon quart d’heure et s’affaire à restituer leur volume initial aux coussins souples.
Une autre vendeuse, toute de noir vêtue, aux cheveux noués par un ruban de satin, manifestement préposée aux rafraîchissements, débarrasse, en toute hâte, le plateau carré en bois noir verni sur lequel s’érige la flûte usagée de ma précédente voisine, sans manquer à ses devoir en prenant soin de m’en proposer une nouvelle – le vigile (qui s’était personnellement mis en tête d’avancer la table basse me faisant front afin que je n’aie pas à m’avancer pour me saisir de ma boisson) l’ayant interpellée quelques instants auparavant, constatant que j’allais arriver à la fin de ma deuxième coupe…

J’ai beau constater avec effroi que cela fait, à présent, près d’une bonne demi-heure que je suis affalé dans ce divan, j’avoue que je prends beaucoup de plaisir à observer ce qui se passe autour de moi, même s’il faut bien reconnaître qu’à l’étage prêt-à-porter, les passages sont moins fréquents que ceux du rez-de-chaussée – raison précise pour laquelle je suis allé patienter ici, ma vendeuse m’ayant vanté les bienfaits de l’étage, de longs instants auparavant, à coup de « Vous allez voir, c’est vraiment calme, puis, vous pourrez regarder le défilé de la collection Paris-Moscou sur nos écrans…« .

Il faut bien reconnaître qu’elle n’a pas tort car, ce qui se passe au rayon de la maroquinerie – la première pièce archi bondée dans laquelle nous pénétrons d’un pas ferme et décidé, en laissant le portier nous ouvrir la porte du numéro 31 de la rue Cambon – et des accessoires – les chaussures, les montres et les bijoux se trouvant respectivement dans les trois pièces successives du premier étage – relève d’un cirque plus proche de celui d’une ruche que de celui du Soleil:

Ici et là, des sympathiques vendeuses et vendeurs se dressent derrière des présentoirs vitrés ou disparaissent derrière des miroirs pour réapparaître quelques instants plus tard, les bras chargés de sacs matelassés, de boîtes de chaussures, plus loin, des couples patientent dans de minuscules fauteuils – attendant probablement d’être appelé à l’un des petits bureaux de paiement nichés dans le renfoncement d’un mur laqué noir ou blanc (les couleurs dominantes de la grande maison parisienne) – des hommes et des femmes contemplent les articles agencés rigoureusement tout le long de la boutique mythique, traquant l’objet qui fera fondre leur cœur – peut-être ce sac en croco à 55000 € trouvera-t-il un acquéreur, ou cette montre hors de prix, un poignet menu autour duquel elle pourra parader de tous ses diamants, … -, …

Si je me trouve parmi eux, en ce 13 août 2009, c’est que je suis à la recherche d’un présent pour l’anniversaire imminent de Liliane, ma maman, qui s’en va afficher prochainement 60 ans et qui s’y refuse obstinément – comme si nous avions le choix, franchement, ça se saurait non?!.

C’est après cinq nouvelles minutes que ma vendeuse se présente avec l’objet convoité – un modèle archi classique mais qui porte bien son nom de « Timeless Classic » – et qu’elle s’empresse d’ajouter qu’elle a dû téléphoner à bon nombre de boutiques afin qu’il soit acheminé de toute urgence à la matrice de la vente du double « C« .

Nouvelle présentation de l’article, blablabla… Explications superflues sur l’ajustage de la chaîne, blablabla… Compliments professionnels sur le choix du modèle, de la teinte de la chaîne, blablabla, … Disparition subite de la vendeuses derrière un miroir afin de préparer le paquet qu’elle saupoudrera d’un kilo de camélias pour créer – et je la cite texto – « Un effet de surprise quand votre maman l’ouvrira« … Direction un autre canapé, puis passage à la caisse, blablabla… Discussion avec ma vendeuse alors que celle-ci porte mon sachet jusqu’à la sortie, en m’expliquant que la foule ne cesse jamais au 31, blablabla, … Politesse, blablabla, … Portier, … Et fin: en moins de temps qu’il me le faut pour comprendre, je réalise que je suis déjà dehors, …

Finalement, dans la vie, il y a des commerces dans lesquels il nous faut aller, plus ou moins régulièrement, telles des corvées redondantes desquelles nous ne pouvons nous acquitter, à l’instar du – toujours tristement bondé – supermarché, de la pharmacie – fréquemment assaillie par un panel diversifié de la population avoisinante -, … Puis, il y a ceux, variables selon les personnes, dont ne s’imagine même pas pouvoir, un jour, passer la porte tant l’image d’exclusivité que nous en avons occulte totalement la réalité de la chose: par définition, une boutique propose des articles à la vente et donc, si vous avez de quoi payer, vous serez toujours bien reçus, commun des mortels (« Very Nobody Person » comme moi) ou divinités mode-sques (accomplies ou en plein essor).